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  • Jeremy Bourgais

Phobie française


De la crainte réciproque entre la France et l’Europe.

Jeremy Bourgais, Faculté de droit, Université de Poitiers

La PEUR semble être l’un des mots-clefs de cette élection présidentielle : PEUR du terrorisme, qui menace les 67 000 bureaux de vote et les 47 millions d’électeurs[i]; PEUR de l’extrémisme, alors que les sondages créditent la candidate du Front national de près de 40% d’intentions de vote ; et enfin, PEUR de, et pour l’Europe[ii].

L’Union européenne est en effet menacée par la possible victoire de la candidate eurosceptique. Mais, même en cas d’échec de cette dernière, l’UE, après avoir été rejetée par les Britanniques, semble aussi l’avoir été par les nombreux Français qui ont décidé de soutenir un des sept candidats eurosceptiques[iii] lors du premier tour de l’élection.

Près de la moitié (48.41%[iv]) des votants du premier tour ont soutenu un candidat qui, s’il n’est explicitement favorable au Frexit, prône a minima une refonte systémique des institutions européennes.

Le président de la commission européenne, Jean-Claude Juncker, a décidé d’envoyer un message à ces électeurs, en Français, à l’occasion de son discours sur l’état de l’Union, prononcé lors du dernier jour de la campagne. Il a commencé par expliquer son choix de s’exprimer dans la langue des électeurs :

“I am hesitating between English and French, but I made my choice: I will express myself in French, because slowly but surely English is losing importance in Europe. And also because the French will have elections next Sunday, and I would like them to understand what I am saying about Europe and about nations.[v]”

Pour qualifier la crise sans précédent que l’Union européenne est en train de traverser, Juncker a eu recours à un néologisme : « polycrise ». Avant d’évoquer le Brexit, il a essayé de rassurer les européens, et les français en particulier, en affirmant que le chômage était en baisse en Europe et que « la croissance économique européenne [était] le double de la croissance économique des États-Unis ». Le message qu’il veut envoyer aux Français est-il que leur peur du chômage et de la précarité relève de la phobie, de la peur panique déraisonnée ? Sûrement pas ! Le chômage n’est pas en baisse en France[vi], au grand désarroi du président Hollande qui avait promis le contraire lors de la précédente campagne présidentielle. En outre, la croissance française demeure inférieure à la croissance moyenne de la zone euro[vii].

Une réponse plus concrète à la frustration des européens à l’égard de l’Union fut le choix de la Commission de proposer cinq scénarii plutôt que d’imposer une voie, dans le Livre blanc sur l’avenir de l’Europe présenté le 1er Mars dernier. Lors de son discours sur l’état de l’Union, Jean-Claude Juncker a expliqué qu’il souhaitait rompre avec l’habitude qu’a Bruxelles de « dicter, dire ''Voilà, à prendre ou à laisser'' ». Ses mots semblent faire écho à la formule lepéniste du « diktat de Bruxelles ».

Il a poursuivi en clamant que « l’Europe est plus que l'argent, plus que le marché », des mots qui sonnent aussi comme une réponse « à l’argent roi » du « banquier Macron » dénoncé par Marine Le Pen. Aussi la mise en œuvre des scénarii envisagés par la Commission européenne semble-t-elle conditionnée au résultat du vote d’aujourd’hui, en particulier pour l’un d’entre eux, le scénario 1 : « S’inscrire dans la concontinuité[viii] » !

Jeremy Bourgais est doctorant contractuel chargé d'enseignement à l'Institut de sciences criminelles - EPRED, Faculté de droit - Université de Poitiers

[i] Électeurs inscrits. Source : ministère de l’intérieur.

[ii] Peur des français à l’égard de l’Europe et peur de l’Europe à l’égard de la France.

[iii] Marine Le Pen (21.30% des votes exprimés), Jean-Luc Mélenchon (19.58%) et cinq outsiders dont Nicolas Dupont-Aignan (4.70%) qui a rallié Marine Le Pen entre les deux tours pour briguer le poste de premier ministre (les quatre autres étant Philippe Poutou (1.09%), François Asselineau (0.92%), Nathalie Arthaud (0.64%) et Jacques Cheminade (0.18%)).

[iv] Des suffrages exprimés.

[v] J’hésite entre l’anglais et le français, mais j’ai fait mon choix : Je m’exprimerai en français, car lentement mais sûrement, l’anglais perd de l’importance en Europe. Et aussi parce que les Français ont des élections ce dimanche, et je voudrais qu’ils comprennent ce que je dis à propos de l’Europe et à propos des nations.

[vi] Il reste bloqué aux alentours de 10% depuis novembre dernier, alors qu’il est sous la barre des 5% au Royaume-Uni et inférieur à 4% en Allemagne (source : eurostat et www.ons.gov.uk).

[vii] 0.3% en France, contre 0.5% dans la zone euro au cours du premier trimestre de l’année 2017. (source: insee et eurostat).

[viii] Les autres sont : « Scénario 2: Rien d'autre que le marché unique », « Scénario 3: Ceux qui veulent plus font plus », « Scénario 4: Faire moins de manière plus efficace », et « Scénario 5: Faire beaucoup plus ensemble ». Source : www.europa.eu.


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